La question de Mourir dans la dignité se pose avec d’autant plus d’acuité maintenant que plusieurs gouvernements révisent leurs lois à ce sujet et interrogent les citoyens sur leur vision d’une mort digne. L’acharnement thérapeutique est sans doute une cause importante de souffrances prolongées inutilement. Voici un point de vue original sur la fin de vie naturelle. Il vise à éclairer un chemin sur lequel chacun et chacune pourrait se retrouver un jour.
Quand un corps ne peut plus se nourrir, quand on le force à manger sans faim ou à être nourri par perfusion, on va sans doute à contre courant de son organisme, on lui occasionne des pénibilités qui rendent ses derniers temps de vie inutilement douloureux. Plus une mort est naturelle, plus elle est douce, paisible, confortable, et se fait à un âge avancé. Comme on l’observe dans le monde animal et dans les sociétés dites primitives, quand une personne est rendue au bout de sa vie, elle cesse de s’activer, puis de se nourrir, se retire et quitte la vie comme une chandelle qui a brulé toutes ses énergies.
À titre de témoignage qui illustre bien ce point de vue, je joins le récit moderne, récent d’une femme qui a accompagné son mari dans une mort paisible et choisie délibérément. On voit comment, en étant attentif aux signaux de son corps, il réduit puis cesse son alimentation, comment ses forces diminuent progressivement et comment il quitte la vie en cessant de respirer en toute lucidité, sans tourment et sans douleur.
Toutes les fins de vie ne peuvent peut-être pas ressembler en tous points à celle-là, mais on peut tout de même s’en inspirer pour prendre des mesures appropriées en fin de vie. Nous pouvons par exemple parmi les méthodes d’acharnement thérapeutique, éviter de nourrir de force une personne qui ne ressent ni faim ni appétence, accepter que les forces d’une personne diminuent progressivement et inévitablement, accompagner une personne dont la lumière s’éteint lentement et inévitablement. Le texte joint Nous ne serons plus jamais deux, est extrait de Loving and Leaving the Good Life, écrit en 1992 par Helen Nearing, qui a vécu dans le Maine 91 ans, dont 60 ans avec son mari, Scott Nearing, à la fois dans leur vie rurale exemple précurseur de simplicité volontaire et leur action pacifiste, qu’ils ont décrites dans 18 livres.
Plus jamais nous ne serons deux Helen Scott Nearing
Quand une porte se referme, un autre s’ouvre … dans une autre pièce, un autre espace, d’autres événements. Nous avons plusieurs portes à ouvrir et fermer dans nos vies. Nous laissons certaines portes entrebâillées, où nous espérons et planifions revenir. Nous fermons certaines portes en les claquant avec détermination – « Plus jamais ça ! » Nous en fermons certaines à regret, doucement—-« C’était bon, mais c’est fini. » Les départs entraînent des arrivées quelque part. Fermer une porte, la laisser derrière, ouvre sur de nouvelles vues et aventures, de nouvelles possibilités, de nouvelles initiatives.
Ma vie n’était pas finie et ni même proche de sa fin, même si un chapitre se terminait, quand Scott, mon camarade et amour depuis cinquante-trois ans, a tranquillement cessé de respiré sa vie à la maison, dans le Maine, trois semaines après son centième anniversaire. Il est parti dans la dignité, en cessant délibérément de manger, après une longue et bonne vie. J’ai dû prendre les rênes qu’il avait tenues doucement entre ses mains.
Une fois Scott parti, j’ai voulu vivre seule. Je n’étais pas solitaire; j’ai aimé le calme et la solitude et j’en ai presque voulu aux amis préoccupés qui m’appelaient et me visitaient constamment. Je n’avais pas eu besoin d’eux. Je préférais être seule si je ne pouvais pas continuer à vivre avec Scott. « Autrement dit, je peux être au portail d’une embrasure, d’au moins regarder dans un autre type d’être, un autre type d’existence, un autre type d’expérience. » « Tu accueilles ça ? » lui ai-je demandé.
« Je n’ai aucun choix. C’est comme si tu me demandais si je m’attends à ce que le soleil se lève demain. La vie que les gens ont vécue jusqu’à maintenant est loin de son but réel. Nous devons arrêter de faire tant de bêtises et nous orienter vers un nouveau mode de vie. « Fais ce en quoi tu crois. Fais de ton mieux là où tu es et sois aimable. « J’aimerais amener les gens à adopter des habitudes de vie physiques et mentales de sorte qu’à la fin de leur vie, la terre soit une meilleure place ou vivre.
« S’asseoir et se mettre à l’aise ? Ce n’est pas une façon d’être. Se redresser. Avancer. Continuer. Je voudrais sortir et planter des pommes de terre, couper du bois, faire quelque chose de constructif. « Je voudrais vivre tant que je suis utile. Si je peux être d’une utilité, je voudrais continuer à vivre. Si je ne peux pas même apporter le bois pour toi, j’aimerais mieux m’en aller. » Il pourrait avoir cité les mots du roi de France souffrant dans Tout est bien qui finit bien : « Ne me laissez pas vivre, dit -il, quand que ma flamme manquera d’huile, puisque je ne peux plus fournir la cire ni le miel. J’ai rapidement été départi de ma ruche pour faire place à d’autres ouvrières. » Un mois et demi avant que Scott ne parte, un mois avant son centième anniversaire, assis à la table avec un groupe d’amis, il a dit un jour : « Je pense que je ne mangerai plus désormais. » Il n’a jamais pris d’aliments solides par la suite. Il délibérément et constamment choisi le moment et la façon de partir. Il l’a fait de façon méthodique et consciencieuse. Il a voulu quitter son corps en cessant de se nourrir.
La mort qui survient quand on cesse de se nourrir n’est pas une forme violente de suicide; c’est une baisse douce et lente d’énergie, une façon paisible de partir volontairement. Extérieurement et intérieurement il était préparé. Il avait toujours aimé la phrase de Robert Louis que Stevenson « J’ai vécu heureux et je meurs heureux. Je pars de mon bon vouloir. » Maintenant il pouvait la mettre en pratique. Il a lui-même inventé sa propre technique pour mourir: laisser son le corps quitter la vie. J’y ai consenti, comprenant comment les animaux laissent souvent la vie s’éloigner en se retirant hors de vue et cessant de se nourrir. Pendant un mois j’ai nourri Scott avec des jus – de pomme, d’orange, de raisin — aussi longtemps qu’il a voulu boire des liquides et a pu les avaler. Puis il m’a dit : « Je voudrais prendre seulement de l’eau. » Il n’était pas malade. Il était toujours lucide et a parlé avec moi, mais son corps était extrêmement épuisé. Ses forces vitales diminuaient. Après une semaine à l’eau et il était complètement détaché de la vie, prêt à glisser facilement dans cette bonne nuit. Son corps s’était desséché; maintenant il se fanait et il pourrait s’en retirer tranquillement et paisiblement. J’étais avec lui sur son divan et l’ai tranquillement incité à partir, le matin du 24 août 1983.
À mi-voix, j’ai entonné un vieux chant amérindien : « Marche droit comme les arbres; vis fort comme les montagnes; sois doux comme les vents de printemps; farde la chaleur d’été dans ton cœur et le Grand esprit sera toujours avec toi. » « Tu n’as pas à t’accrocher, mon amour, » lui ai-je murmuré. « Laisse aller ton corps. Va avec la marée. Lâche prise. Tu as vécu une belle vie. Tu as fait ta part. Entre dans une nouvelle vie. Entre dans la lumière. L’amour va avec toi. Tout est bien ici. » Lentement, graduellement, il s’est détaché, respirant de moins en moins, de plus en plus doucement; alors il était dégagé et libre, comme une feuille tombe de l’arbre, flotte et s’éloigne. « Très…bien, » a-t-il respiré, semblant témoigner que tout était bien et il est parti. J’ai senti le passage du visible dans l’invisible.
Notre liaison amoureuse avait duré un demi-siècle et continue toujours maintenant, huit ans après qu’il soit mort à l’âge honorable de cent ans. L’amour continue de ma part et de sa part aussi, je crois. Autrement, d’où pourrait me venir ma certitude heureuse chaque matin, chaque soir et tout au cours de la journée que je vis dans l’amour et que je suis comblée de le donner et de le recevoir. Depuis le jour ou Scott est mort, j’ai le sens de son être continu. Comme Winnenap le sorcier Shoshone a dit : « Si le mort était vraiment mort, pourquoi devraient-ils marcher encore dans mon cœur ? » Scott reste une grande partie de ma vie, une présence permanente.
Dans un de ses derniers livres, Krishnamurti a écrit « Il ne peut y avoir aucun bonheur durable dans les relations. » J’ai trouvé un bonheur durable dans ma relation avec Scott, même après sa mort. Je crois à l’amour après la mort comme je crois à la vie après la mort. [Je passerai à la troisième personne pour un moment.]
Scott a vécu une belle vie et a eu une belle mort. Il a vécu pleinement chaque moment et il est mort sereinement. Il est parti comme il l’avait souhaité, à la maison, sans médication, sans docteur, ni isolement à l’hôpital et avec Hélène à côté de lui. Elle se réjouissait de sa réussite. Leonardo da Vinci a écrit en 1500 : « Comme une journée bien remplie apporte un sommeil heureux, ainsi une vie bien utilisée apporte une mort heureuse. »
Il n’y a eu aucune perturbation; il n’a pas étouffé ni secoué ni tremblé. Il a juste respiré doucement jusqu’à ce qu’il ne lui reste aucun souffle laissé et qu’il quitte son corps. Ce fut tout ce qu’il y a de plus simple. Ce fut un passage facile et beau, tout simplement le départ du souffle de vie. Ayant facilité et soutenu le départ projeté, elle a été témoin de sa fin sans chagrin. Elle a senti la délivrance de Scott plus que la perte d’Helen. Elle était heureuse qu’il s’en aille ainsi et a résolu de faire de même quand son heure sera venue. Il lui restait encore plusieurs années pour compléter sa vie et contribuer ce qu’elle pourrait avant d’entreprendre son propre départ. La mort de Scott lui a montré comment le faire quand son temps serait venu. Elle croyait que c’était l’amour qui importait, et non la personnalité qui passait.